Cinéma / télévision / scénarisation
Cinéma / télévision / scénarisation
Antoine Fuqua, Américain, originaire de Pittsburgh, est sans doute l'un des réalisateurs les plus marquants de sa génération. Il a d'abord fait ses premiers pas dans le milieu du vidéo-clip et du court métrage avant de s'attaquer à la fiction et au grand écran. Il se fait remarquer par son approche déjà personnelle dans le film d'action avec sa première réalisation importante en 1998 avec « The Replacement Killers ». En 2001, il établit sa marque et son talent avec « Training Day » qui vaut un Oscar d'interprétation à Denzel Washington et avec raison. Depuis, Fuqua a enchainé des films de qualité inégale ou même d'intérêt discutable, mais il travaille toujours de la même façon en mettant beaucoup d'attention sur le souci du détail.
Si je parle de « Training Day » dans cet article alors que d'autres films plus récents de Fuqua sont en circulation, c'est que je l'ai revu il y a quelques jours et que je l'ai redécouvert. Pour le jeune réalisateur qu'il était en 2001, Fuqua a récolté une note presque parfaite pour de nombreuses raisons, entre autres, l'audace et la profondeur ; il ne s'agit pas seulement d'une histoire sur un flic pourri, mais plus encore et on devrait encore revoir ce film aujourd'hui, parce que la problématique des gangs, des ghettos, de la violence et de la corruption est toujours présente et même plus étendue et plus complexe.
On se souvient du scénario : le jeune policier, Jake Hoyt (Ethan Hawke) a de l'ambition. Il rêve de progresser rapidement dans sa carrière pour devenir détective, pour un meilleur salaire, une plus grosse maison, vivre dans un quartier plus cossu, bref offrir une vie idéale à sa petite famille. Une ouverture se présente pour intégrer la brigade des narcs, dirigée par Alonzo Harris, un personnage hors du commun, coloré, expéditif, rude, aux méthodes peu orthodoxes et pas toujours légales. Jake est sélectionné pour une journée d'apprentissage sur le terrain au terme de laquelle il saura s'il est accepté ou non dans l'équipe tissée serrée d'Alonzo. Dès le départ, Jake est intimidé par ce personnage intrigant et visiblement imbu de sa personne. Rien ne se passe comme il s'y attendait : le bureau d'enquête consiste en la rutilante Monte Carlo d'Alonzo, les appels au répartiteur sont interdits, il l'oblige à fumer un joint en le menaçant avec un revolver appuyé contre sa tempe et il lui présente Roger, son « dog », l'un des plus importants trafiquants de drogue de toute la région, comme s'il était un ami proche avec lequel il trinque régulièrement. Puis les entorses à la loi continuent, toujours de plus en plus graves, en passant d'une perquisition illégale où Alonzo dérobe un paquet d'argent pour un pot-de-vin pour un juge et, pour finir, l'exécution de Roger afin de lui voler tout l'argent liquide accumulé au cours de sa vie de trafiquant : quatre millions de dollars dont un est secrètement confisqué et partagé entre Alonzo et les sbires de son équipe, mais à ce point, Jake refuse d'aller plus loin dans les malversations ainsi que de se servir dans un élément de preuve. La tension monte au point où Jake passe à un cheveu de se faire descendre par Alonzo lui-même, mais le policier pourri réussit à le convaincre de poursuivre son apprentissage et de garder le silence en dépit des méthodes « routinières » auxquelles il a été confronté. Jusque là, Jake joue le jeu et se plie aux demandes de ce patron brutal qui lui promet le poste dont il rêve. Cependant, la journée est loin d'être terminée et lorsque Jake découvre enfin pourquoi Alonzo l'avait précisément choisi lui pour cette journée de formation, il doit décider s'il ferme les yeux ou s'il doit passer à l'action, seul contre une équipe corrompue, afin de mettre un terme à ce climat d'extorsion, d'abus et de violence gratuite.
Aujourd'hui, on ne voit plus ce film sous le même angle qu'en 2001, à sa sortie. Il constituait une nouveauté, une découverte et le contenant fut davantage prisé que le contenu. Seize ans plus tard, on dirait que le contenu a mûri ou alors c'est notre regard qui le voit autrement, surtout quand on en sait plus sur le « making of ». D'abord l'adaptation de ce scénario a été développée avec minutie et détails. Il y avait le choix des locations, allait-on en décors artificiels, plus sécuritaires, ou dans les lieux mêmes où se situe l'action décrite ? Fuqua, qui n'opte jamais pour la facilité, a choisi de tourner non seulement dans les quartiers chauds, mais avec ses résidents au lieu de prendre des figurants de l'extérieur. De toute façon, des « étrangers » n'auraient pas été acceptés dans ce territoire contrôlé par des gangs de rue. Par ailleurs, la ville de Los Angeles avait refusé d'octroyer des permis de tournage à l'équipe de Fuqua en raison du haut taux de criminalité et de violence, aussi il était impossible de leur trouver des effectifs suffisants à leur protection ce qui n'aurait fait que créer une situation explosive tellement les policiers sont détestés dans le secteur ; personne dans tous les niveaux administratifs de la municipalité ou de la production ne voulait prendre ce risque. Il lui aura fallu des mois, mais Fuqua, avec l'aide du scénariste David Ayer et de l'activiste et documentariste Cle Sloan, a réussi à tisser des liens de confiance avec les personnes « influentes » du quartier pour obtenir un laissez-passer. L'une de ces personnes est T. Rodgers, le fondateur du gang Black P. Stones Blood dans le Baldwin Village alias « The Jungle ». Si vous allez à Los Angeles, ne vous perdez surtout pas dans cette direction. Chaque jour de tournage dans le quartier et particulièrement dans la rue Palmwood Dr où loge la maitresse d’Alonzon, Sarah, Cle Sloan et ses amis préparaient le terrain pour tempérer les ardeurs de ceux qui étaient tentés de commettre des agressions ou du vandalisme. Lorsque, dans le film, Alonzo arrive dans la rue en compagnie de Jake, tous les gens que nous y voyons sont les réels habitants du quartier. Ceux qui ont l'allure de petits gangsters sans vergogne sont... des petits gangsters sans vergogne qui ont eu leur minute de gloire au cinéma. De plus, Denzel Washington est une grande idole respectée dans ce milieu ; un Afro-Américain qui a réussi à faire sa place parmi les Blancs. Au départ du projet, Gary Sinisse, Tom Sizemore et Bruce Willis avaient été considérés pour le rôle d'Alonzo. Le choix final de Washington était aussi un enjeu tant pour le réalisateur que pour l'acteur ; Washington n'avait jamais joué de rôle de « pourri », le public le perçoit toujours sous un angle positif et sympathique. L'acteur était de son côté emballé par ce défi et admirait le travail du jeune réalisateur audacieux. Alors, le fait d'avoir Washington sur le plateau a grandement facilité un tournage sans anicroche.
Pour le rôle de Jake, Fuqua cherchait un acteur qui représentait la naïveté et l'ambition honnête. Par ailleurs, on ne doute jamais des intentions de Jake tout au long du film, le spectateur découvre graduellement avec lui, par ses yeux, qui est vraiment Alonzo Harris. Pour créer l'effet de spontanéité, certaines scènes avaient été modifiées à l'insu de Hawke qui savait qu'il devait réagir naturellement et continuer la scène. C'est le cas entre de la scène du restaurant où a lieu leur première rencontre, en réalité au Quality Cafe situé dans la 7th Street à Los Angeles, un petit café où se sont tenus plusieurs scènes d'autres films comme « Se7en », « Catch Me If You Can », « Gone in 60 seconds » et « Ghost World », entre autres. Le restaurant a cessé ses activités en 2006, mais il continue de servir à de nombreux tournages. Donc, cette scène débutait tout le tournage, ce fut également le moment où Ethan Hawke tourne pour la première fois avec Denzel dont il est un immense admirateur. La tension qui semblait palpable était réelle et Washington a poussé le jeu un peu pour ajouter de la crédibilité à la scène. Lorsqu'il lui crie soudainement « boum » au milieu d'une phrase, ce n'était pas au script.
La scène avec les « trois rois mages », jouée par Tom Berenger, Harris Yulin et Raymond J. Barry dans les rôles de hauts placés de la police, aurait pu être jouée n'importe où, mais Fuqua voulait un endroit symbolique, connu, mais aucun média n’y avait tourné. Situé dans la 6th rue, le restaurant Pacific Dining Car est un genre d'institution de tradition « los-angelaise », un steak house ouvert 24 heures sur 24, 7 jours semaine. Le propriétaire a obstinément refusé toutes les demandes de tournage dans sa place, qu'il s'agisse de productions à grands budgets lardées de vedettes tout comme celles des indépendants de bonne volonté. Fuqua a usé de son pouvoir de séduction, semble-t-il, pour qu’on lui fasse une exception. Comme il l'a dit au cours d'une entrevue : il a mangé un « baseball steak » avec le patron pour finir par le convaincre. Ainsi, lorsque Alonzo arrive au restaurant où sont les trois comparses, nous savons qu'il est tard dans l'après-midi, mais ils sont toujours à table et ils trinquent en fumant le cigare. Alonzo leur présente sa recrue puis lui demande d'aller s'assoir ailleurs pour qu'il discute en privé. Il lui dit : « Go, sit somewhere else and have a baseball steak or something ! » Clin d'oeil au patron.
Pour les autres rôles de soutien, même mineurs, les acteurs se sont préparés en ne lésinant sur rien. Cliff Curtis, né en Nouvelle-Zélande, est de descendance maorie. Il a joué des rôles de toutes sortes de groupes ethniques. Pour celui de Smiley, le chef de gang latino, il est allé vivre quelques semaines dans une communauté mexicaine pour apprendre l'accent. Dans l'anonymat le mieux gardé, des agents d'infiltration ont également coaché, les acteurs, dont Curtis, sur l'attitude, les tics et l'argot du milieu. Ainsi, Jake se retrouve dans un terrain miné, sans le savoir, pratiquement livré en pâture au clan Surano de Smiley ; il se joint à une partie de cartes « amicale » dans une cuisine où sont aussi Snyper (Raymond Cruz) et Moreno (Noel Gugliemi). Comme Jake a été soumis à différentes situations avec un type d'individus qu'il n'a jamais croisé ou fréquenté de sa vie, assuré par Alonzo, il ne se doute de rien, s'assoit et se joint à une situation où les chats jouent avec la souris avant de l'étriper. Certains dialogues dans cette scène ont été légèrement modifiés à l'insu de Hawke. Par exemple, dans cette séquence, qui était plus longue avant le montage final, Sniper et Moreno échangent quelques fois en espagnol ou dans un argot local d'anglais et d'espagnol que, visiblement, Jake ne comprend pas plus dans le film que dans la vie.
La dernière séquence de cette scène en a fait sourciller plus d'un. Plus tôt dans l'histoire, Jake aperçoit, en cours de route, deux bums qui s'apprêtent à violer une adolescente dans une ruelle. Jake intervient malgré l'opposition d'Alonzo qui ne lève pas le petit doigt pour l'aider. Jake avait réussi à neutraliser les deux bums, mais Alonzo les remet en liberté et laisse aller la jeune fille qui jure que son cousin de « Hillside Trece » se chargera d’eux. Alonzo sait qu'il s'agit d'un clan de la mafia mexicaine contrôlé par Smiley. Cet incident lui fournit alors une solution s'il décide de se débarrasser de Jake, selon le déroulement de la journée. Alors qu'Alonzo a déjà quitté la ruelle, Jake trouve le porte-monnaie échappé par la jeune fille lors de l'agression. Il le ramasse et le met tout simplement dans sa poche de pantalon sans penser le mentionner à Alonzo. Ce petit geste lui sauve la vie, mais pour plusieurs cinéphiles c'était un peu trop gros, mais pas pour Fuqua qui croit au hasard et pour cette raison il a gardé le petit porte-monnaie rose. Personnellement, j'avais aussi sourcillé, mais il m'est tellement arrivé de situations irréelles, truffées de ces hasards, que je ne conteste pas. Dans l'histoire cependant, Smiley qui avait reçu la « commande payée » par Alonzo d'éliminer Jake et d'aller le brûler devant la maison de sa femme et son enfant, un homme de parole qui, en plus a sauvé la vie de sa nièce, ne mérite pas la mort, mais le respect et, pour lui, Alonzo est allé trop loin. Smiley sait qu'un jour ou l'autre Alonzo finira par se faire descendre en raison de toutes ses malversations et un autre viendra prendre sa place. Il présume que le jeune Jake deviendra ce chef pour une nouvelle ère. Il le laisse vivre et le raccompagne jusqu'à la rue pour faire savoir aux autres de ne pas y toucher. En le quittant, il lui dit : « Hey, Porkito, surtout souviens-toi de moi ! » Cette dernière séquence a été coupée, mais c'est au cours de cet échange qu'il révèle à Jake qu'il peut retrouver Alonzo chez Sarah en ce moment.
L'une des scènes mémorables de ce film est dans la suite lorsque Jake revient dans la rue Palmwood, à la nuit tombée, alors que rôdent tous les loups qui gardent furieusement leur territoire. Ils sont perchés sur les toits, derrière les barricades. Ils voient Jake passer, une arme à la main, mais ce n'est pas le même Jake que celui de la matinée. Pour tourner cette scène, toujours avec les gens du quartier, Cle Sloan et ses amis avaient dû redoubler de vigilance pour garder la paix.
La chanteuse et actrice Macy Gray tient le rôle de la femme du Sandman, un trafiquant qui opère depuis la prison. Pour incarner ce rôle, elle a insisté pour faire ses recherches elle-même et trouver son costume et son maquillage. Elle voulait correspondre parfaitement à l'image d'une femme de caïd qui vit dans du kitch, qui n'a pas d'éducation ni de vocabulaire, mais qui a l'instinct de la rue. C'est à la surprise de toute l'équipe qu'elle est arrivée avec une perruque grossière, des vêtements bas de gamme en tissus synthétique, des faux ongles outrageusement roses et longs. C'est une courte apparition, mais elle ne passe pas inaperçue, ainsi que ses voisins.
Pour jouer son rôle de flic pourri qui joue sur toutes sortes de niveaux allant de la séduction à la menace et brutalité gratuite, Denzel Washington s'est inspiré du policier Rafael Perez, cas notoire de corruption, qui s'était rallié au gang des BLOODS et est l'auteur du meurtre du rappeur The Notorius B.I.G.
Beaucoup de risques ont été pris pour réaliser ce film, mais ils ont porté de superbes fruits. Il ouvrait en plus la voie à Antoine Fuqua vers un brillant avenir. Malheureusement, les films qui ont suivi n'ont pas tous atteint ce niveau, trop souvent inégaux malgré des scénarios très valables et préparés avec autant de soin. J'en traiterai dans de prochaines chroniques. Il n'en demeure pas moins que c'est un réalisateur exceptionnel.
Budget : 45 millions
Recettes américaines et mondiales : 104 millions
Sortie en salle : octobre 2001
15 trophées dont l’Oscar pour Denzel Washington et 22 nominations dans différents festivals et cérémonies.
Training Day
January 4, 2018
Réalisation: Antoine Fuqua
Scénario : David Ayer
Avec :
Denzel Washington : Alonzo Harris
Ethan Hawke : Jake Hoyt
Cliff Curtis : Smiley
Scott Glenn : Roger
Eva Mendes : Sara
Cle Sloan : Bone
Jake Hoyt est un jeune policier qui a de l’ambition. Patrouiller les rues n’est pas dans son plan de carrière et il décide de tenter sa chance dans la brigade des narcotiques où il aura le poste de détective avec meilleur salaire, meilleur horaire et gratification accrue. Pour être admis au sein de ce groupe, il doit d’abord se soumettre à une journée de formation sous la férule du chef de ce département, Alonzo Harris. Jake ne sait pas à quoi s’attendre pour ce test, mais il a l’intention de faire tout ce qu’il faut pour répondre aux exigences de Harris. Il ne s’attendait cependant pas à commettre des actes illégaux et participer à meurtre, mais encore, la journée n’est pas terminée pour lui.
Denzel Washington
Ethan Hawke
Cliff Curtis
Scott Glenn
Cle Sloan en compagnie d’un « local » devant Ethan Hawke
Palmwood Drive, devant l’appartement de Sarah
Antoine Fuqua
Eva Mendez
Macy Gray
Ex-officier Rafael Perez
Washington et son Oscar
Tournage de la rencontre entre Jake et Alonzo
Hawke, Washington et Fuqua en tournage.
Le petit porte-monnaie rose de la chance.
Après l’exécution de Roger, Jake risque sa vie.