Cinéma / télévision / scénarisation
Cinéma / télévision / scénarisation
On a souvent dit que son vrai nom n'était pas Sergio Leone, mais Roberto Roberti. En fait, Roberto Roberti était le surnom de son père, le réalisateur Vincenzo Leone qui a signé une soixantaine films, dont la plupart à l'époque du cinéma muet. Avec, en plus, une mère actrice, Bice Valerian, Sergio Leone a grandi dans un milieu de création et de cinéma. Il a commencé comme assistant-réalisateur dans des productions italiennes, puis dans des coproductions américaines à grand déploiement comme
« The Last Days of Pompei », « Sodom and Gomorrah », entre autres, et, surtout « Ben-Hur » où il a agi comme réalisateur (ou assistant-réalisateur, les crédits ne sont pas clairs) dans la fameuse course de chars.
En 1961, il réalise son premier film, « The Colossus of Rhodes », une coproduction entre la France, l'Espagne et l'Italie qui a obtenu une cote bien moyenne, mais Leone voyait plus loin. Féru d'histoire et de détails, il en avait mare de voir tous ces films de « western » américains tournés en Italie et en Espagne, mais dont l'action devait se dérouler au Far West, d'où le nom qu'on leur attribuait de « spaghetti western ». Contrairement à ce qui est répandu, Leone n'a rien à voir avec cette vague de productions hollywoodiennes à laquelle il a par ailleurs mis fin avec sa vision du western. Ne serait-ce qu'après « A Fistfull of Dollars », comment pouvait-on rivaliser avec la désormais « touche Leone » et puis qu'avait-il changé ?
Je mentionne ici l'origine de l'histoire qui avait donné « A Fistfull of Dollars. » Leone s'était inspiré du film « Jojimbo » du réalisateur japonais Akira Kurosawa où un inconnu téméraire arrive dans un village aux prises avec des querelles intestines entre deux clans. L'inconnu s'immisce dans l'un et l'autre des clans pour envenimer davantage les conflits. Il finit par être coincé et battu par l'un des gangsters qui le laissent pour mort. Cependant, il guérit avec l'aide d'un bon samaritain et il revient pour se venger.
Peut-être que Leone pensait que personne ne ferait le rapprochement entre les deux histoires, que le Japon était bien loin, mais il s'est trompé. Pour l'avoir connu, Leone pouvait se montrer mesquin, manipulateur et hypocrite. Quoi qu'il en soit Kurasawa a poursuivi Leone et la production, puis il a gagné. Leone a dû lui verser un dédommagement de 300 000 $ assorti d'un pourcentage sur les revenus de la distribution. Ce film de Leone avait, à l'origine, un budget de 200 000 $ et il en a rapporté plus de 14 millions dès la première année à l'affiche. C'était en 1964 et cette production a continué d'être diffusée sur toutes sortes de support depuis comme ses autres films
En partant, Leone avait une vision bien définie sur les personnages, les costumes, les décors et même le ciel, toujours filmé à contre-jour ; pour lui, le ciel bleu azur des « spaghettis westerns » faisait trop carte postale. Il n'aimait pas les costumes non plus qu'il trouvait beaucoup trop propre et pas du tout d'époque et les décors également trop bien « finis. » Également, fan de Hitchcock, il lésinait sur les dialogues, mais il était généreux dans les mises en situation et le temps des séquences qui ressemblait à la « vraie vie » du monde de l'Ouest. Rappelons-nous les premières séquences du film « Il était une fois dans l'Ouest ». Trois types, sales, barbus, rustres, on sent virtuellement leur odeur, dans une gare à attendre on ne sait pas quoi ou qui ; le grincement ponctuel des pales d'une éolienne rouillée, les nuages de poussière soulevée par les bourrasques et la mouche dans le visage de l'un des truands. Cette scène à elle seule dure plusieurs minutes pendant lesquelles nous avons envie de la chasser nous-mêmes tellement sa présence insistante est agaçante, mais le truand reste impassible et se contente de souffler sur l'insecte qui persiste.
Ce qu'il avait également changé : la trame musicale. Jamais des thèmes des films de western n'avaient joué à la radio, en dehors des projections, autant que les compositions d'Ennio Morricone qui venaient également de révolutionner le genre. Même si on n'avait pas vu les films, le public connaissait les thèmes et Morricone est devenu pratiquement plus célèbre dans le marché américain que Leone.
Anecdote : alors que Leone préparait le tournage de sa dernière grosse production « Once upon a time in America », il cherchait un photographe de plateau pour les scènes qui seraient tournées à New York. Je lui ai chaudement recommandé Oscar Abolafia, grand photographe de vedettes de tous les milieux qui connait surtout New York comme pas un. Oscar n'avait pas la moindre idée de qui était le « gros Italien. » J'ai eu beau lui parler de sa trilogie avec Clint Eastwood, de « One Upon a Time in the West », « Once upon a Time the Revolution » (adapté aussi avec le titre de « Duck you, sucker », ça ne lui disait rien. Il s'est tout de même rendu à un rendez-vous au Waldorf, l'hôtel préféré de Leone, et il est reparti en se disant que ces gens étaient des clowns. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, deux années plus tard, il est au Festival de Cannes et le film d'ouverture était le dernier-né du « gros Italien » avec Robert De Niro, entre autres. Il s'en est mordu les doigts longtemps.
Après « A Fistfull of Dollars », Leone enchaine deux autres films avec Clint Eastwood : « For a Few Dollars More » et « The Bad, The Good and The Ugly » pour lesquels il recrute Lee Van Cleef. Leone dira de Van Cleef : « Il pouvait perforer l'écran avec l'intensité de son regard ! » Ni Van Cleef ni Eastwood n'ont refait de film avec Leone. Eastwood ne voulait pas tomber dans un moule « western » quand il a refusé de jouer dans « Once Upon a Time in The West » et Leone lui en a voulu, le discréditant même à l'occasion en affirmant que Eastwood n'était capable que de deux expressions : avec le chapeau et sans le chapeau. Ils se sont revus quelques mois avant qu'il décède d'une crise cardiaque à l'aube de la soixantaine.
Il m'avait expliqué que si Eastwood avait toujours un petit cigare à la bouche, c'est en raison de la minceur de ses lèvres. Avec le cigare, il gardait la bouche entr'ouverte et on remarquait moins cette minceur ; chose qu'il n'avait jamais révélée à l'acteur.
Dans toutes ses productions, Leone travaillait souvent avec les mêmes personnes dont Tonino Delli Colli, à la caméra et Carlo Simi aux costumes ou aux décors. Leone a raconté que pour ses films, il cherchait des décors existants, des maisons ou de petits bourgs abandonnés, ce qui lui évitait des frais énormes de studios. Lorsque Carlo Simi débarquait et qu'il voulait dépeindre ou encore retaper un peu les lieux, Leone insistait : « Non, non, tu ne changes rien, c'est exactement ce que je veux comme décors ! » Ils ont donc tourné quelques fois dans d'authentiques ruines.
Une autre touche typiquement « léonienne » est dans les costumes. Il est le premier à avoir approfondi des recherches sur les vêtements des cowboys et chasseurs de primes de l'époque du Far West. Selon lui, les films où les cowboys parcourent les vastes plaines poussiéreuses, vêtus de vestes courtes, n'avaient aucun sens. Il avait déniché des images et dessins d'hommes portant de longs manteaux, le « cache-poussière », pour se protéger du sable et de la terre. À partir du moment où il avait introduit ces manteaux, il venait de lancer la mode dans tous les autres films de western qui se respectaient. Il voulait que ses personnages soient des durs qui n'avaient pas froid aux yeux, des vrais de vrais. Il m'avait dit lors d'un dîner : « J'ai voulu leur montrrrer à ces Amérrricains cé qué cé oune homme qui a les couilles ! »
En ce qui concerne les femmes, son idée était assez arrêtée : les actrices personnifiaient soit des mères fidèles et dévouées à leur mari et à leur famille, soit des putes cupides ; il avait la misogynie de son époque et de son milieu.
Tous ses films sont basés sur les mêmes thèmes : l'amitié et la loyauté entre les hommes, particulièrement dans ses deux dernières productions. Dans « Once Upon a Time the Revolution », les deux protagonistes sont joués par James Coburn et Rod Steiger. Steiger en faisait trop, selon Leone. Dans ce rôle, Juan Miranda devait être un peu benêt, un peu brute et un illettré rustre sans aucune éducation. De son côté, Coburn, dans le rôle de John Mallory, est un dynamiteur, un agitateur et un révolutionnaire qui veut chasser les Allemands du Mexique, voler les riches pour donner aux pauvres. Miranda n'a aucune conscience sociale, il est père d'une flopée d'enfants de mères différentes qu'il n'a jamais revues. Leone ne voulait de jeu trop théâtral et Steiger mettait le paquet. Alors, avec la connivence de son équipe, la caméra ne devait tourner qu'à partir de la 10e prise, pour économiser sur la pellicule, alors que Steiger devenait plus « naturel. » Forcément, Leone avait prévu que Steiger se poserait la question sur le nombre de prises, parce que lui-même se trouvait parfait dès la première. Leone ne parlait pas anglais ; il a toujours fait appel aux services d'un interprète jusqu'à « Once Upon a Time in America » où il pouvait se débrouiller.
Donc, Steiger demande au caméraman pourquoi le réalisateur lui fait faire autant de prises. Réponse déjà préparée : « C'est qu'il a tant d'admiration pour vous et votre jeu, il veut en avoir le plus possible ! » Et Steiger s'en est contenté. Aussi, Miranda était bête et ne comprenait pas ce que voulait Mallory, mais Steiger rendait le rôle de quelqu'un qui était au-dessus de la mêlée. Alors, le nouveau stratagème de Leone fut de donner des scènes différentes à Steiger la veille du tournage. Arrivé sur le plateau, en plein tournage, l'action ne se déroulait pas comme écrit et c'était exactement que ce Leone voulait : l'effet de surprise, il fallait que Miranda ne comprenne pas ce qui se passait. Ce fut efficace pour quelque temps, surtout au début de la rencontre entre Mallory et Miranda jusqu'à la prise d'assaut de la banque qui ne contient rien d'autre que des prisonniers politiques.
La préparation de tournage rendait Leone nerveux et insomniaques. Les questions de financement pour sa dernière réalisation, la plus importante, l'angoissaient et provoquaient de problèmes de pression. En plus, il aimait la bonne chère, mais il avait développé la très mauvaise habitude de manger rapidement, habitude qui, selon lui, avait causé son embonpoint considérable au cours des années. Dès le début de ses réalisations, le service de traiteur offrait des plats de chefs, autre chose que des sandwiches ou du prêt-à-manger. L'équipe ne disposant que de peu de temps pour les repas, il a avoué qu'il dévorait le tout rapidement et qu'il a non seulement commencé à prendre du poids dès ce moment, mais il a gardé l'habitude de manger vite même en dehors de tournage. Il était évident qu'une maladie cardiovasculaire allait se développer tôt ou tard, mais il n'a rien fait pour l'en empêcher.
Son dernier tournage, « Once Upon a Time in America » fut cauchemardesque. Il avait par ailleurs refusé de réaliser « Godfather » qu'on lui avait offert en 1972, parce qu'il s'était déjà attaqué à son nouveau projet. Il avait trouvé son financement chez le producteur Arnon Milchan, un marchand d'armes qui aimait le cinéma et dont c'était son septième projet, qui était pratiquement « vert » dans le milieu. Il était la personne idéale pour financer cette colossale production, parce qu'il en avait les moyens, mais encore fallait-il le convaincre d'y investir 25 millions de dollars. Leone y est allé de stratégie et n'a pas tout montré de ce que serait la production. Au lieu de coûter 25 millions, le budget est rapidement passé au double de ce montant et le tournage qui devait se dérouler sur une période de trois mois s'est plutôt étalé sur près de onze mois. Pour un peu endormir Milchan, il lui a donné un rôle dans le film, un rôle bidon dont celui du chauffeur du personnage de De Niro et qui fut très largement coupé au montage, il n'est resté qu'une courte scène où il ne parle pas. C'était bien l'esprit tordu de Leone de donner un rôle de sous-fifre à celui qui finançait la production et qui continuait d'injecter aveuglément de l'argent dans ce rêve fou du réalisateur italien.
La production a campé quelques semaines dans la métropole où l'on a tourné dans le Vieux-Montréal et en banlieue. Plusieurs techniciens n'en pouvaient plus de la longueur de ce tournage et des différents pépins qui se produisaient régulièrement. Ils auraient bien quitté la production pour rentrer chez eux, mais on avait confisqué leur passeport respectif pour les en empêcher.
Il est arrivé que le plateau de Leone soit à proximité d’un autre tournage, « Le Ruffian » qui mettait en vedette Lino Ventura et Claudia Cardinale. Curieusement, en aucun moment, l’actrice n’a montré l’intérêt ni l’envie d’aller saluer celui qui lui avait donné un rôle marquant dans « Once Upon a Time in the West. » Leone avait déjà des commentaires peu flatteurs à son égard et, à mon avis, on les lui avait rapportés. Par contre, De Niro, qui séjournait dans le même hôtel qu’elle, appréciait beaucoup sa compagnie et il semble que ce fut réciproque, mais ne vous emballez pas, il ne s’est rien passé de plus que des conversations.
Autre chose que Leone n'avait pas mentionné non plus : la durée du film. Il voulait un long métrage d'une durée de 230 minutes pour couvrir l'histoire comme il le souhaitait. Un conflit a rapidement éclaté entre lui et les distributeurs américains qui ont amputé le film de 140 minutes pour la sortie nord-américaine, version qu'a désavouée Leone. Sa « vraie » version est celle qui fut présentée à l'ouverture du Festival de Cannes avec la version intégrale. C'était en 1984.
Dans les années qui ont suivi, Leone s'est attaqué à un autre projet qui devait se dérouler en Russie, où il a séjourné à plusieurs reprises au cours de ses dernières années. Il s'agissait d'une histoire qu'il avait en tête depuis le tournage de « A Fistfull of Dollars », mais qui ne verra jamais le jour. Il meurt d'une crise cardiaque à sa maison dans la région de Lazio en Italie.
Sergio Leone n'a réalisé en tout que sept longs métrages et un segment du documentaire « The King of Ads. » Je fronce encore les sourcils aujourd'hui lorsqu'on l'identifie aux « spaghettis westerns », alors qu'il créait plutôt une révolution dans le domaine. Il était aussi un ami de Pierre-Elliot Trudeau qui aimait les gens de cinéma.
On peut facilement revoir ses films aujourd'hui qui n'ont pas vraiment vieilli, par contre certains auraient avantage à ce que l'on revampe la qualité audio des dialogues surtout dans « Once Upon a Time in the West. »
Sergio Leone
December 4, 2017
Réalisateur, scénariste et assistant-réalisatuer
Naissance : 3 janvier 1929, Rome, Lazio, Italie
Décès : 30 avril 1989, Rome, Lazio, Italie
Épouse : Carla Leone
Enfants : Francesca, Andrea et Raffaella
Il a souvent travaillé avec Carlo Simi, Ennio Morricone et Tonino Delli Colli.
Il a signé 7 longs métrages et une collaboration à une documentaire sur les rois de la publicité.
Au moment de son décès, il travaillait sur un projet de long métrage qu’il voulait tourner en Russie.
Claudia Cardinale
Henry Fonda
Charles Bronson
James Coburn et Rod Steiger
James Woods et Robert De Niro